Les conseils de Like la revue

Les 3 expos à ne pas rater

PHILARMONIE DE PARIS

Disco, I’am coming out – Jusqu’au 17 août 2025.

Bill Bernstein, Arnaud Baumann, Hasse Persson, Kwame Brathwaite, Meryl Meisler, Michael Abramson.  

www.philharmoniedeparis.fr

New York, fin des années 1970. Tandis que la ville s’enfonce dans le chaos, la violence des gangs et l’héroïne meurtrière, un autre monde émerge, incandescent, sous les stroboscopes des clubs. Poussant de côté les problèmes sociaux, la nuit devient un territoire de liberté et d’expression débridée. C’est l’époque des dancefloors enfiévrés où se mêlent célébrités, anonymes, drag queens, artistes, travailleurs du sexe et fêtards invétérés. Le disco n’est pas encore une industrie musicale : c’est un souffle, une révolution dansante. Peu nombreux sont ceux qui documentent cette effervescence. Trois photographes en particulier ont su s’imprégner de son atmosphère sans la dénaturer : Meryl Meisler, Gilles Pétard et Peter Hujar. Dans le New York des années 70, Meryl Meisler débarque comme enseignante à Brooklyn, dans une école publique où elle éduque des enfants du quartier en ruine de Bushwick. Dès la nuit tombée, telle une Cendrillon en tenue de paillettes, elle s’échappe dans les clubs. Elle y prend des photos qui jouent sur le contraste abyssal entre l’exubérance de ces soirées et l’ennui qu’elle traîne dans son quotidien. Partie intégrante de la fête, Meisler s’investit résolument dans le glamour des lieux et la fièvre des danseurs. D’où la force de ses images, car on imagine qu’elle-même agit sans filtre, dans un tourbillon de spontanéité. Son style, drôle et décalé, saisit à merveille la vibration musicale et la tension sexuelle qui meuvent le public, notamment les communautés LGBTQ+, afro-américaine et latine. Meryl Meisler publiera bien plus tard A Tale of Two Cities : Disco Era Bushwick (2014) et New York PARADISE LOST Bushwick Era Disco (2021), mémoire inestimable de cette période trépidante. Autre passionné, et non des moindres, Gilles Pétard. Photographe et collectionneur français spécialiste de musique noire américaine, il est l’un des rares Européens à avoir réalisé de l’intérieur des images de la scène disco new-yorkaise, et ce dès le milieu des années 70. Vivant entre Paris et New-York, avec une économie limitée, il fréquente assidûment les clubs underground et établit un lien direct avec les DJs, les danseurs et les figures montantes du milieu. Plongé dans le funk, le disco, le jazz et le rhythm ‘n’ blues, il ne photographie pas seulement pour l’amour de l’art, il se pose aussi en historien de cette musique qui se crée sous ses yeux. Peu connues du grand public, ses photos sont d’inestimables témoignages de folie musicale et vestimentaire. Là où d’autres voyaient du divertissement, lui percevait déjà une épopée sociale à raconter. 

Peter Hujar, portraitiste culte de la scène artistique new-yorkaise, est surtout connu pour ses photos intimes, mélancoliques et puissants d’artistes, amants, marginaux et malades du sida. Il se fait connaître dans les années 70-80 comme compagnon de route de l’underground du Lower East Side : écrivains, artistes, musiciens, drag queens, prostitué·es, performers… Son loft, situé au-dessus du théâtre La MaMa, devient un refuge bohème, où passent des figures aujourd’hui mythiques : Susan Sontag, John Waters, Candy Darling, Fran Lebowitz, et bien sûr David Wojnarowicz, avec qui il entretient une relation à la fois amoureuse, artistique et intellectuelle. Il fréquente bien évidemment la scène nocturne, notamment le GG’s Barnum Room, l’un des lieux emblématiques des nuits queer. Contrairement à Meisler ou Pétard, Hujar ne cherche pas à documenter la fête : il la transforme en théâtre émotionnel. Son noir et blanc profond, ses cadrages frontaux, sa lumière crue donnent à chaque cliché une densité rare. Pour lui, le disco ne signifie pas seulement dancefloor et paillettes, mais aussi fragilité, solitude et parfois mort. Des regards, pauses et silences au cœur du vacarme. Un monde en liberté, certes, mais déjà traversé par les prémices du désastre sanitaire à venir. Si Hujar n’a connu qu’un succès modeste de son vivant – il évitait les galeries et refusait souvent de vendre ses tirages – son influence est aujourd’hui établie. À la croisée du portrait classique, de l’art queer et du documentaire urbain, il a développé un style minimaliste qui laisse toute la place à la présence humaine, dans sa force et sa fragilité. Avec sa mort en 1987, à 53 ans, des suites d’une pneumonie liée au sida, il rejoint les nombreuses figures new-yorkaises fauchées par l’épidémie. C’est David Wojnarowicz, son ex-compagnon, qui s’est occupé de ses archives et a contribué à le faire redécouvrir, avant de lui-même disparaître en 1992, emporté à son tour par le sida.

Usimages

biennale de la photographie du patrimoine industriel. Le passé roule pour l’avenir: aluminium et électricité. En partenariat avec l’Institut pour l’histoire de l’aluminium. Co-commissariat : Nathalie Postic. Jusqu’au 15 juin 2025.

L’histoire de l’aluminium en France ne se limite pas à une succession d’innovations technologiques. Elle est aussi celle des personnes qui ont fait vivre ce secteur, et de son empreinte sur l’urbanisme et les modes de vie. C’est précisément cette mémoire que conserve l’IHA – Institut pour l’histoire de l’aluminium – un centre d’archives créé en 1986 par l’entreprise Pechiney, aujourd’hui détenteur d’un fonds photographique exceptionnel, qui retrace un siècle d’histoire industrielle et sociale. L’IHA est né dans un contexte où de grandes entreprises ont commencé comprendre qu’il était important de conserver leur patrimoine. C’est ainsi que Pechiney, l’un des noms majeur de l’industrie de l’aluminium, a initié la collecte et l’archivage de photographies et documents liés à son activité. L’Institut a depuis connu de nombreuses transformations, échos aux restructurations économiques. Désormais association loi 1901, il s’appuie sur un modèle mixte de financement, combinant mécénat et prestations d’archives. Celles-ci renferment des images impressionnantes de photographes célèbres, tels Jean Dieuzaide, mais c’est essentiellement à l’abondant travail d’Henri Lacheroy que l’on doit de pouvoir encore se rendre compte de ce qu’étaient les sites de production. Il a réussi à en faire surgir la beauté par des perspectives et jeux de lumière saisissants. Instructeur dans l’aviation pendant la Grande guerre, il entre, le conflit terminé, aux usines Michelin de Clermont-Ferrand, dont il crée et dirige les services photographiques. Il va ensuite parcourir la France de long en large, toujours au service des entreprises. En 1949, il signe de nombreux reportages pour le compte de l’Aluminium français, sur les barrages, les centrales hydro-électriques ou  les carrières de bauxite, ce minerai à partir duquel est fabriqué l’aluminium. Au-delà de l’intérêt purement technique, voici un superbe point de vue sur un siècle d’histoire industrielle.

Musée d’Histoire de Paris-Carnavalet

Le Paris d’Agnès Varda, de-ci, de-là – Jusqu’au 24 août 2025.

Jusqu’au 24 août 2025. 23 Rue de Sévigné, 75003 Paris. https://www.carnavalet.paris.fr

Tout commence là, non pas dans un somptueux musée ou un édifice haussmanien, mais dans cette petite cour pavée du XIVe arrondissement, discrète, presque secrète. Derrière la façade qui donne sur la rue, un véritable monde : celui, immensément riche, d’Agnès Varda. C’est ici qu’elle a vécu, aimé, travaillé, filmé, photographié, et inventé sans relâche pendant près de soixante-dix ans. Ce petit théâtre de la vie ordinaire est devenu l’un des épicentres de son œuvre. Avec Ciné Tamaris, la société de production qu’elle avait fondée, c’est depuis cette même cour, loin du tumulte des salles d’exposition, que sa fille Rosalie veille aujourd’hui sur son travail. « Pour comprendre Agnès, il faut comprendre la rue Daguerre, mais surtout la cour », souffle-t-elle avec une tendresse non dissimulée. 

1951

Agnès Varda repère deux boutiques à l’état de taudis, qui se font face de part et d’autre d’une cour toute en longueur. Le lieu est à vendre. Ses parents se laissent convaincre de le lui acheter, et, avec sa compagne Valentine Schlegel, elles s’installent côté épicerie. L’ancien atelier d’encadrement devient le laboratoire photo d’Agnès. À l’étage, un atelier de dorure est aménagé en studio de prise de vues en lumière naturelle. La boutique de l’encadreur est transformée en atelier de céramique pour Valentine, et son prolongement en un petit local d’habitation où Agnès Varda accueille un couple de réfugiés espagnols, les Llorca. Elle a débuté sa vie professionnelle en 1949, au Festival d’Avignon. Jean Vilar, qui dirige alors le Théâtre National Populaire, lui propose d’aider en régie et de faire de la figuration. Très vite, elle lui suggère de photographier les spectacles. Vilar accepte. Varda devient la photographe officielle du TNP. Novatrice, elle opte pour un modèle économique rare à l’époque : se rémunérer sur la vente des tirages et conserver ses droits d’auteur. Un sens de l’indépendance qui ne la quittera jamais. La cour-atelier devient rapidement un personnage à part entière, un décor vivant, intime et essentiel dans la vie et la création de Varda. « C’est vraiment là qu’elle se fabrique un cadre sur mesure, explique Anne de Mondenard, commissaire de l’exposition. Elle y vit littéralement son métier d’artiste. »

1954

Agnès Varda organise son premier accrochage, dans la cour. Elle y montre des portraits de jeunes comédiens du TNP, des voisins, des anonymes de la rue Daguerre. Ses clichés circulent dans la presse et passent par les agences. Varda construit son réseau, impose son style, mais reste fidèle à une règle : ne jamais trahir l’intime. Elle garde cette éthique, prenant très peu d’images personnelles, même de ses enfants ou des stars qui fréquentent la cour. Elle se refuse à « profiter des gens ». « Ma mère ne photographiait pas ses amis ou ses proches sous prétexte qu’ils étaient célèbres », confirme Rosalie Varda. « Y compris quand Jane Birkin ou Catherine Deneuve passaient la voir. Elle disait : “On ne vole pas les gens.” Ce n’était pas quelqu’un qui sortait l’appareil photo à tort et à travers. Même avec Jacques (Demy), elle prenait peu de photos. Elle avait une vraie pudeur. »

1959

Jacques Demy la rejoint rue Daguerre. La cour devient un lieu de cinéma, et de mode. En 1962, Varda y accueille une séance photo pour Harper’s Bazaar. Elle pose dans la cour, chez elle, à la veille du succès de Cléo de 5 à 7. « C’était un vrai laboratoire, se souvient Rosalie. Elle pouvait faire un plan dans la cour, se dire que ça irait dans tel ou tel film. La cour était un prolongement de son imaginaire. » Paris entre dans la cour et la cour déborde sur Paris. Dans Cléo de 5 à 7, la capitale devient l’écrin des angoisses existentielles de l’héroïne. Varda filme la ville comme un miroir des états d’âme de ses personnages. Elle n’a que faire des monuments : ce qui l’intéresse, c’est le trottoir, la vitrine, le boucher derrière son comptoir. « Les gens qui bossent, les vieux, les commerçants. C’était ça, son Paris », insiste Anne de Mondenard. Mais la cour de la rue Daguerre est aussi un territoire d’émancipation, une histoire de femmes, de transmission. Avec émotion, Rosalie Varda revoit les après-midi suspendus, les rires qui s’échappent. « Ma mère a fait de cette cour un atelier à ciel ouvert, puis un jardin d’expérimentations. Cet endroit est devenu un manifeste de sa liberté. » Dans Daguerréotypes (1975), Varda donne la parole à ses voisins commerçants. « C’était une façon de leur rendre hommage. Elle les connaissait tous, elle les respectait profondément », souligne Rosalie. Bien des années plus tard, dans Les plages d’Agnès (2008), elle va jusqu’à transformer la rue elle-même en plage de sable, déposant l’imaginaire au coin de sa porte, ultime pied de nez à la grisaille parisienne. Avec le temps, la cour a changé de visage, se parant de verdure. Varda s’y filme, y plante ses décors, y dépose ses souvenirs. Jusqu’à sa dernière œuvre : la sculpture de sa chatte Nini perchée sur un tronc d’arbre, gardienne posthume du lieu qui a vu Agnès Varda grandir, créer, se réinventer. La cour devient mémoire. La cour devient monument. « Jusqu’au bout, elle s’est racontée à travers la cour. C’est là que l’on comprend qu’elle ne séparait jamais sa vie et son art », résume sa fille. Les archives d’Agnès racontent aussi son lien organique entre la photo, le cinéma et Paris. Dans les bureaux de Ciné Tamaris, derrière la cour, ses cartons occupent encore de nombreux mètres d’étagères : tirages, planches-contacts, négatifs, carnets de repérages, agendas annotés. Avec l’Institut pour la photographie de Lille, Rosalie Varda a entrepris de tout organiser, classer, dater. Un travail colossal. « Nous avons été frappés par la cohérence de l’ensemble, raconte Anne de Mondenard. Elle a tout gardé, tout trié et disposé dans de grandes boîtes oranges. » Une archive nourrie jusqu’au bout par cette femme qui n’a jamais cessé de se raconter.

Daguerre à Carnavalet

L’exposition du musée Carnavalet a su lui rester fidèle. Elle montre Paris, bien sûr, mais toujours depuis ce prisme si personnel : plus de 130 photos, des films, des archives inédites, et au centre, la cour. Le fil rouge, la colonne vertébrale. « En travaillant sur cette exposition, on a réalisé que la cour, c’est peut-être l’œuvre la plus intime d’Agnès », conclut Rosalie Varda. En sortant du musée, on a envie d’aller pousser la porte du 86 rue Daguerre. D’aller voir si la cour est toujours là, si l’atelier vit encore. Ciné Tamaris y travaille, comme au temps d’Agnès. Rosalie Varda veille sur cet espace pavé devenu patrimoine. La société fondée par sa mère continue de restaurer, de diffuser et de faire vivre son œuvre. L’exposition prolonge cet élan et nous restitue les multiples talents de la « daguerréotypesse ». 

Livres

Hollywood Archives de LIFE

Éditions Taschen 708 pages, 200 €

Somptueusement présentées en un coffret où se logent deux gros volumes totalisant plus de 700 pages, les images de Life consacrées à Hollywood font revivre les heures triomphales de l’hebdomadaire américain et des légendes du cinéma, depuis la fin des années 30 jusqu’au début des années 70. Un défilé de centaines de photos, avec pour chacune une mise en contexte brève et informative. Tout à la fois anthologie de presse, de cinéma et de photographie, cette sélection d’archives, souvent en noir et blanc, se partage entre inédits et images connues, de Fred Astaire à Jane Fonda, de Shirley Temple à Marlon Brando, sur les plateaux ou chez eux, villas exceptionnelles et scènes de famille presqu’ordinaires. Les multiples aspects de la vie d’Hollywood se succèdent, les premières et remises de prix, mais aussi les personnalités et métiers: décors, maquillage, costumes, metteurs en scène, producteurs. D’une décennie à l’autre, on voit une Marilyn Monroe débutante se transformer en star absolue, les genres dominants évoluer, les grands studios perdre leur toute-puissance. Dans les années 60, Life, conçu avec l’ambition de montrer l’actualité du monde entier, s’intéresse au cinéma européen, avec des pages où rayonnent Sophia Loren, Brigitte Bardot. Âge d’or, rêve, glamour, séduction, pour un ouvrage qui se conclut sur les notices biographiques des dizaines de photographes – Philippe Halsman, Bert Stern, Alfred Eisenstaedt, Margaret Bourke-White, Robert Capa, Pierre Boulat… – auxquels on doit ces documents.  

Brûlure Linda Tuloup

Éditions André Frère 224 pages, 49€

Pour elle qui aime la simplicité, le confinement a constitué une parfaite occasion: un seul corps disponible, le sien, et les pellicules polaroïd qu’elle avait alors en stock. C’est ainsi qu’est née sa série Brûlure: après avoir réalisé des autoportraits à l’aide d’un retardateur, la photographe a voulu expérimenter un élément naturel, et elle s’est comme jetée dans le feu, en brûlant certaines de ses images, une destruction incontrôlable qui métamorphose. À mesure qu’elle se consume, la photographie s’anime, se tord, se redresse, comme si la mort de l’image s’accompagnait d’une renaissance chamanique. Le feu attaque l’épiderme du papier et il est impossible de prévoir comment celui-ci va réagir. Si les polaroids de départ présentent majoritairement une influence romantique préraphaélite, les déformations sont, elles, complètement diverses. 

Notre famille afghane, souvenirs d’une vie envolée  Olivier Jobard

Éditions de Juillet 200 pages, 45€

Après l’exposition présentée à l’automne 2024 à Caen, puis Paris, voici le livre: en 2013, Olivier Jobard rencontre le jeune Ghorban, qui a fui l’Afghanistan et vit dans la rue à Paris. Le photographe suivra désormais son quotidien, et une grande proximité s’établira peu à peu entre sa famille et lui. Sept ans plus tard, alors que l’adolescent a décroché son bac et sa nationalité française, ce qui va lui permettre de voyager légalement, il l’accompagne dans un séjour sur sa terre natale, où vivent encore les siens. Les photos révèlent le bonheur des retrouvailles et les blessures du déracinement. Après la prise de pouvoir des Talibans en août 2021, ses frères et sœurs ont pu être rapatriés en France. Le photographe, qui étudie depuis trente ans, sur tous les continents, les questions liées à l’exil, s’est attaché à “individualiser la migration”, alors que nous avons surtout l’habitude d’entendre à ce sujet des chiffres plutôt que des noms, oubliant la signification concrète, humaine, d’informations auxquelles on ne prête plus guère l’oreille, ni les yeux, ni le cœur.

fr_FRFrench